J’ai 43 ans et demi. Deux mois après ma péritonite donc sur un terrain inflammatoire, en plein chaos de cycles écourtés puis long, en plein désert sexuel tant la fatigue m’écrasait, je suis tombée enceinte. Encore. Tourbillon de sentiments, encore, mais cette fois je voulais être capable d’envisager une IVG. Tout en sachant que j’étais aussi capable de le garder sans l’absolue panique d’octobre-novembre. J’ai aussi eu honte d’être retombée enceinte. Mais comment aurais-je pu imaginer qu’au bout de 8 ans, nous devenions des pros de la fertilité.
Le passé pèse lourd. J’ai passé tant d’années à désirer un enfant par-dessus tout. Comment retourner ma veste au point de décider la fin d’une vie? J’ai passé de longues semaines à remuer ces pensées mais la 2e échographie montrait déjà une forme humaine. Vague d’amour et d’émotions qui a éteint mes doutes. Puis ils sont revenus. Élever deux jumelles de moins de 18 mois quand l’annonce est tombée, mener une grossesse dans ces conditions physiquement exigeantes puis un nouveau-né avec deux petites filles de deux ans. Celles-là même qui courent au square dans deux directions opposées, ont commencé à pratiquer le « non » et avec qui la négociation est un art presque divinatoire pour éviter des colères plus difficiles à désamorcer… mes filles justifient à elles seules que je sois écrasée de fatigue. Avec des nuits encore souvent interrompues par de courts réveils. Mais je ne me rendors pas toujours, même fatiguée.
Les relations étaient très tendues avec l’homme. Déjà avant. Il me reprochait de ne pas avoir mis en place de contraception. D’avoir dit après ma fausse couche de novembre que je n’étais pas prête à fermer la porte.
J’ai gardé mes vêtements de grossesse. J’en porte les hauts adaptés à l’allaitement. Je stocke les vêtements de bébés. Surtout ceux des premiers mois. C’est passé incroyablement vite. Pas le temps pour des massages après le bain, peu de contemplation, deux bébés, c’est beaucoup de logistique… puis la reprise du travail… puis l’entrée en crèche avec des journées que j’essaie de garder courtes, 6 heures environ. Une journée d’adulte au travail, c est quoi? 7-8h? Plus pour nombre d’entre nous mais 6h et le mercredi quand je peux, c’est mon arrangement avec moi-même. Au prix bien sûr de revenus qui chutent fort. Pour ne pas avoir que la logistique. Courir un peu moins parfois, les regarder grandir et sentir que j’y ai mon rôle. A défaut de mes gamètes. Car à tout jamais, même avec quelques uns de mes gènes qui ont fait leur chemin en elles, elles sont issues d’un don d’ovocytes.
Je crois que cette fois cette question a pris moins d’importance. J’allais peut-être voir à quoi ressemblait un enfant de mes gènes. Curiosité. Pas besoin impérieux. Ni rétablissement d’équilibre. Équilibre de quoi? Mes filles ne me combleraient pas? Je crois que si. Comment elles auraient vécu cette différence? Aurais-je été capable d’expliquer à quel point j’ai rêvé d’elles, à quel point je me suis dépassée pour qu’elles existent? Versus un enfant issu de mon ovule, arrivé un peu par hasard mais sans désir. Avec craintes de ma part. Avec des bouleversements de ma vie que je ne souhaitais pas, des problèmes d’argent qui émergeaient. Renonce-t-on à faire naître un enfant pour des problèmes d’argent? Un troisième enfant?
J’ai laissé ces questions en suspens. La vie apporte parfois ses réponses en temps voulu et les problèmes peuvent se dénouer au fur et à mesure. La leçon de la PMA est revenue: vivre au jour le jour. A la troisième écho, mon compagnon et mes filles étaient là. 10 sa. Il allait bien. Je pleurais d’émotion en le regardant mais toujours les doutes. 11 puis 12 sa. Tournant.
Il était donc parti pour investir nos vies et mon corps. Il avait envie de vivre pour s’être inséré dans ces minuscules interstices de chances d’exister. Je savais que les risques de trisomie étaient élevés mais je n’y croyais pas. Trop ironique alors qu’il avait passé tant d’obstacles. Et nuque fine à 10 sa. Cela m’inspirait une forme de respect et j’ai commencé à me laisser aller à la rêverie et pas qu’au cauchemar, au possible éclatement du couple. Mère de jumelles, c’est déjà un peu shiva au quotidien. Ce serait difficile mais faisable. Tant d’autres l’ont fait. Je commençais à penser aux soins qu’on apporte à un tout petit, je n’ai rien oublié. Je pourrais faire mieux qu’avec mes filles, plus efficace, moins lente et hésitante. Peut-être des massages?
13 sa. Un jeudi matin. Écho T1. Ma gyneco, cette perle, m’annonce le programme: écho puis déclaration de grossesse et lancement des tests, marqueurs puis dpni. Je me suis installée. Mon compagnon assis à côté. Elle a rapidement vu un petit décollement. J’ai eu peur, une grossesse alitée dès 3 mois? Avec mes filles qui me sautent dessus??? Puis je l’ai vue chercher, l’image était floue. C’était bizarre, je ne comprenais pas. Rythme? Oui. Le mien. Elle a coupé le son et m’a annoncé l’évidence. C’était arrivé probablement peu après la dernière écho. Qui remontait à 3 semaines. Le temps qu’il m’avait fallu pour commencer à l’accueillir. Aurait-il senti mon changement d’état d’esprit s’il avait encore été là? Je ne lui souhaitais pas de mal mais était-il sensible à la confusion de mes sentiments? Je préfère penser que non, je ne sais pas. Je lui ai demandé pardon.
J’ai eu honte de ma réaction à l’annonce, le soulagement. Les larmes sont venues après. Mon compagnon plus triste que soulagé, il m’a étonnée, heureusement qu’il était là. On a pu rêver d’une vie qui se simplifie dans les mois à venir avec des bébés qui grandissent, il faut un revers de médaille, se raccrocher au futur prometteur quand le conditionnel s’effondre. Je ne me suis jamais sentie davantage coupée en deux que ce jour-là. La cohabitation forcée entre ma tête et mon coeur a été douloureuse.
Ma gyneco a appelé un chirurgien, qui a d’ailleurs opéré mon endométriose. Je l’ai vu qq heures plus tard. Même cabinet que la grande Hope. Elle était là quand je suis arrivée. Je lui ai raconté cette incroyable deuxième grossesse spontanée, son issue. Elle a été top. Comme toujours. Je lui ai demandé si la fausse couche risquait de se produire ce week-end, elle m’a dit de ne pas trop sauter dimanche pour célébrer la victoire. Ça m’a fait rire. Et du bien de la voir, une dernière fois…
Avec le chirurgien qui programmait mon intervention lundi, c’était plutôt « si vous commencez à saigner, allez tout de suite à Port Royal ». J’ai flanché. Il a compris mon historique avec novembre. A appelé un collègue, ne lui a pas laissé le choix. Intervention le lendemain matin dans une maternité que je ne connaissais pas. Rendez-vous avec le 2e chirurgien puis l’anesthésiste appelé pour une césarienne, la consultation la plus courte jamais vue.
Vendredi matin. Tétées avant de partir. Leur contact me donne tant de force. J’arrive ric tac. 9h30 au lieu de 9h pour une intervention à 10h. Coup de chance, les box en ambulatoire sont fermés, j’ai une chambre magnifique en maternité: des arbres, du ciel, des oiseaux par la grande fenêtre. Je vois un nouveau-né. Je suis attendrie, je ne souffre pas de l’avoir vu. j’ai une pensée pour celui qui aurait pu être. Équipe adorable. AG. Première hémorragie. Pose du stérilet. Deuxième hémorragie que le médecin n’arrive pas à stopper, retrait du stérilet qui empêche la compression de l’utérus. C’est finalement la formation de caillots qui arrêtent le sang. J’ai gagné un suivi la semaine prochaine et de possibles contractions pour sortir les caillots. Un peu hier soir. Mais tant que je sais que c’est postérieur à l’intervention, sans rapport avec mon embryon, ça ira.
J’ai l’impression que cette étape clôt des chapitres de ma vie. J’ai parcouru des années de pma, souffert, eu deux enfants. Il n’y aura pas de troisième pour moi. Je ne veux plus revivre ces montagnes russes, j’aspire à l’ennui, au calme relatif. Est-ce possible? Est-ce compatible avec mon destin? Après 10 mois de chaos, j’en viens à douter mais ce calme, ce bonheur tranquille, je l’appelle de mes vœux. Souhaitez-moi de ne plus sentir le besoin d’écrire si ce n’est pour commenter vos articles…
Je souhaite à toutes un gertrudage en bonne et due forme ou une PMA qui finit bien, et quoi qu’il arrive un équilibre de vie qui vous rendent heureuses…